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2023 juin
Agathe Frasson-Cochet - P(l)ainpalove
Collectionneuse passionnée de livres illustrés d’occasion, Agathe —secrètement auteure d’un livre pour enfants— me raconte qu’elle est tombée sur la version du conte “Kolobok” publiée par Ipomée qui se trouve peut-être par hasard mais pas par surprise dans sa ville natale; Moulins. Il existe environ 40 variantes de “Kolobok” dans le monde : l’histoire est connue sous le nom de Roule Galette en français, et The Gingerbread Man, peut-être plus familière aux anglophones ou aux germanophones, est classée dans le même type de conte populaire par les folkloristes (type 2025 pour être exact, selon l’indice Aarne-Thompson-Uther), y compris ses propres variantes de The Gingerbread Girl, The Gingerbread Cowboy, The Matzah Man, etc. L’histoire raconte quelque chose qui ressemble un peu à ça : Une vieille et pauvre femme fait un petit pain à partir de chutes de bois et de poussière du grenier et le laisse refroidir sur le rebord de la fenêtre. Le petit pain prend alors vie sous forme de Kolobok et roule dans la forêt où il rencontre un ours affamé qui déclare qu’il va manger Kolobok qui se met alors à chanter :

Je suis Kolobok, Kolobok,
J’ai été gratté et balayé,
Pétri avec de la crème aigre,
Frit dans l’huile,
Refroidi près de la fenêtre,
Je me suis sauvé du vieux,
Je me suis sauvé de la vieille,
Et de toi, ours, il est facile de se sauver!

Kolobok continue à rouler et disparaît en un clin d’œil, puis se trouve nez à nez avec un loup puis avec un lapin, et leur joue le même tour : chanter et s’échapper. Il rencontre finalement le renard qui le flatte en disant “Quelle jolie chanson! Mais, Kolobok, je me fais vieux et j’entends mal. Assieds-toi sur ma gueule et chante ta chanson encore une fois.” Alors Kolobok saute sur la gueule du renard qui —ham!—l’avale d’un claquement de mâchoire.

Certain·e·s narrateur·ice·s brossent un tableau bien terne de cette histoire en concluant “voilà ce qui arrive aux enfants qui s’échappent de chez eux”, ou alternativement, comme The Clash l’indiquent: “I fought the law and the law won”. L’obéissance ou autre est la leçon la plus pressante transmise par des années de contes folkloriques pour enfants. En revanche, pour le paranoïaque critique, ces contes signalent à quel point nous sommes voués à l’échec en tant qu’enfants et adultes. Une étude interlinguistique avec l’objectif de “reconnaître les capacités des contes de fées à améliorer la gestion des conflits chez les enfants”, indique que dans tous les contes couverts par son étude (dont Kolobok), il ressort que :

A) La stratégie comportementale prédominante est la confrontation
B) Les tactiques les plus réussies sont;
a) la ruse,
b) la fuite,
c) le recours à un groupe de soutien
C) La recherche de compromis, de collaboration et/ou à d’affirmation de désirs conduit à… la perte.
D) Les émotions ne sont souvent pas identifiées du tout.

Je ne vois d’aspiration à aucune pratique indiquée autre que celle de “recourir à un groupe de soutien”. Alors imaginez un conte populaire où les grands-parents, l’ours, le lapin, le loup et le renard —pauvres, dans les deux sens du terme— sont remplacés par des préoccupations dont le but est d’engloutir un morceau de vous, cher lecteur : famille, logement, assurance, pas de travail, trop travail (l’équivalent du renard rusé, bien sûr), etc. Comment faites-vous ? Avez-vous essayé de mentir? Ou peut-être plutôt la fuite ? Je suis sûre que vous avez déjà été trompés par les promesses de l’honnêteté. Et pourtant, on continue à s’enfoncer dans la forêt des besoins et des responsabilités en perfectionnant nos combines pour rester en un seul morceau.

Alors, montrez un peu d’amour au pain qui vient de loin.

texte Yasemin Imre
édition et traduction en français Jeanne Tullen
Photos Jeanne Tullen